Une autre vision de la santé mentale :
sortir la psychiatrie de l'hôpital.
Une autre vision de la santé mentale :
sortir la psychiatrie de l'hôpital.
Liste des signataires de la tribune collective parue sur Lemonde.fr le 10 mai 2024
Tribune collective « Une autre vision de la santé mentale est nécessaire, il faut sortir la psychiatrie de l'hôpital », parue sur Lemonde.fr le 10 mai 2024
Face à la crise grave et durable de la psychiatrie, la réforme des soins ambulatoires est une priorité. Ils devraient, en effet, être beaucoup plus développés qu’ils ne le sont aujourd’hui. Les soins dans la cité n’ont que des avantages pour les personnes concernées par des troubles psychiques, comme éviter la désinsertion familiale et sociale ainsi que le recours à la contrainte, limiter la stigmatisation et rendre les soins plus acceptables et donc plus acceptés.
Cette préconisation est celle de tous les rapports successifs sur la santé mentale mais, à part quelques progrès marginaux ici ou là, l’objectif est loin d’être atteint. Beaucoup de lits d’hospitalisation ont été supprimés, mais les soins ambulatoires n’ont pas été suffisamment développés pour pouvoir les remplacer, avec, pour conséquence, une saturation des services restants, des délais d’attente aux urgences inacceptables et un nombre désolant de ruptures de soins.
Des financements ponctionnés
Le principal frein à l’avènement d’un nouveau modèle de soins semble être le rattachement hospitalier des équipes ambulatoires de psychiatrie. Ce rattachement contribue à la prééminence d’une culture hospitalière dans la conception des soins, éloignée de la vie des patients et de celle des autres acteurs médicaux et sociaux. De plus, les financements tendent toujours à valoriser nettement plus les activités d’hospitalisation que les soins ambulatoires.
Cela est manifeste quand il s’agit d’interventions communautaires inconnues des autres spécialités : visites à domicile, réhabilitation sociale et professionnelle, sorties thérapeutiques, thérapies de groupe, concertations interprofessionnelles, etc. Ainsi, les postes octroyés et l’emploi du temps des personnels sont accaparés par la prise en charge des patients hospitalisés, au détriment de la psychiatrie hors les murs.
De plus, aucune sanctuarisation des budgets de la psychiatrie n’est possible dans le système actuel : dans les établissements polyvalents, il est fréquent de voir ces financements ponctionnés pour soutenir d’autres besoins de l’hôpital.
Une autre vision de la santé mentale est nécessaire, il faut sortir la psychiatrie de l’hôpital. Nous proposons donc de changer radicalement de modèle d’organisation. Le cœur du système de soins psychiatriques doit être placé en dehors de l’hôpital, au plus près des patients.
Cette évolution pourrait se faire en deux étapes.
Soins ambulatoires et inclusifs
La première viserait à regrouper, au sein d’une instance de coordination, tous les acteurs intervenant dans le parcours de soins d’un territoire : les services et établissements de psychiatrie et de pédopsychiatrie (sectorisés et non sectorisés, publics et privés), les professionnels de ville, les associations représentant les usagers et les aidants, les institutions et organismes médico-sociaux, les centres communaux d’action sociale, etc.
Cette instance serait chargée de mettre en œuvre, en lien avec l’agence régionale de santé (ARS), un projet territorial proposant une gradation nette des soins. Il devrait reposer avant tout sur les soins ambulatoires et inclusifs, et définir précisément le rôle de tous les intervenants, notamment des médecins généralistes et des infirmiers, essentiels pour le repérage et l’accompagnement, et dont le rôle doit être reconnu et la formation renforcée.
La mise en œuvre de ce projet serait planifiée de manière pluriannuelle, sur la base des structures existantes et de moyens supplémentaires attribués aux actions prioritaires. Au sein du réseau ainsi créé, les services extra-hospitaliers de psychiatrie conserveraient un rôle majeur et pourraient se structurer de manière indépendante, préfigurant l’étape suivante d’autonomisation.
Il s’agira en particulier de définir des découpages géographiques actualisés et cohérents, tenant compte à la fois des bassins de vie et de la cohérence avec les autres organisations sanitaires territoriales.
Après cette phase préparatoire, nous proposons de créer de nouveaux établissements publics de psychiatrie ambulatoire (EPPA), ayant la responsabilité de la prévention et des soins de santé mentale d’un territoire avec un découpage géographique équilibré et cohérent couvrant l’ensemble du pays. Les EPPA auront la responsabilité de tous les soins, de l’enfance aux sujets âgés, afin d’éviter les ruptures de prise en charge aux âges charnières. Ils devront accompagner et soutenir les aidants.
Conventions ou partenariats
L’objectif est aussi de rendre plus lisibles pour les usagers les dispositifs qui leur sont proposés. Ces EPPA bénéficieront de financements propres, définis sur la base des besoins de la population couverte, et d’une gestion indépendante. Les missions de ces établissements incluront tous les types de soins ambulatoires en psychiatrie.
Des conventions seront établies avec des services hospitaliers et hospitalo-universitaires pour prendre en charge, en collaboration avec leurs équipes, les épisodes aigus, les intrications médico-psychiatriques complexes ou encore les soins spécialisés nécessitant le recours à un plateau technique et à des centres de référence.
Les EPPA établiront aussi des conventions ou des partenariats avec les autres acteurs du territoire couvert, notamment les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les organismes médico-sociaux et les autres établissements participant aux parcours de soins.
La mise en œuvre de ce modèle constituerait un changement majeur d’organisation, susceptible de modifier profondément les pratiques et la vision des soins en santé mentale, tournée vers la prévention, les interventions ambulatoires et les objectifs de rétablissement des patients. Il ne s’agirait aucunement de répondre à des impératifs économiques, les soins ambulatoires nécessitant des moyens au moins du même niveau que ceux des soins hospitaliers conventionnels.
Tout comme le secteur psychiatrique était novateur dans les années 1960 avec les principes d’interventions communautaires et de responsabilité populationnelle, une telle organisation rénovée et décloisonnée pourrait servir d’exemple à de nouveaux dispositifs pluriprofessionnels de santé publique en France.
Liste complète des signataires :
Marie-Laure ALBY, médecin généraliste, Paris
Jean-Marc BALEYTE, professeur de pédopsychiatrie, Créteil
Etienne CANIARD, ancien membre du collège de la HAS, président honoraire de la mutualité française
Edouard COUTY, ancien magistrat à la Cour des Comptes ancien directeur général de l’hospitalisation et de l’offre de soins au ministère de la santé
Dominique DEMANGEL, ancienne maire adjointe Paris 18ème
Bernard ELGHOZI, médecin généraliste, praticien hospitalier honoraire, Créteil
Nadine GRELET-CERTENAIS, maire de La Flèche
Nathalie FREYNET, ancien médecin de santé publique
Patrick GOUDOT, professeur de médecine, Paris
Agnès JEANNET, ancienne inspectrice générale des affaires sociales
Bruno LIFFRAN, directeur d’Hôpital Honoraire
Jean MALLOT, ancien député de l’Allier
Denis MECHALI, ancien praticien hospitalier
Joël PANNETIER, praticien hospitalier, vice-président de la CME du CH du Mans
Antoine PELISSOLO, professeur et chef de service de psychiatrie, 1er adjoint au maire de Créteil
Claude PIGEMENT, médecin spécialiste, membre du conseil d’administration de l’ARS -IDF
Thierry PHILIP, professeur de cancérologie
Marielle RENGOT, sociologue, adjointe au maire de Lille
Emmanuel VIGNERON, géographe, professeur émérite des universités.
NB : le projet complet sur lequel s'appuie cette tribune est accessible ici sur le site de La Grande Conversation.